HEIDI WOOD, Los Angeles

HEIDI WOOD, Los Angeles

Galerie Anne Barrault, Paris

10 septembre - 22 octobre 2005

 

Lors d’une résidence à Los Angeles, Heidi Wood se trouve confrontée au flot d’images publicitaires qui assaillent l’espace urbain et au divertissement industrialisé caractéristique de la mégalopole. À partir de cette expérience, elle poursuit et approfondit un travail fondé sur l’analyse du système marchand par son application à l’œuvre d’art. L’exposition de la galerie Anne Barrault nous en offre un échantillonnage.

 

En 2001 déjà, Heidi Wood créait des environnements intérieurs dans lesquels elle intégrait ses peintures. L’image ainsi produite rappelait celles des catalogues de mobilier contemporain dont la peinture mise en scène apparaît comme l’un des objets offerts à la vente. La série de photographies «Los Angeles » présentée à la galerie Anne Barrault reprend ce principe, mais cette fois-ci l’environnement n’est pas artificiel. Le mode opératoire est celui de l’insertion.

 

Dans des photographies de paysages urbains de la mégalopole américaine, Heidi Wood intègre des peintures fictives dans des panneaux publicitaires. Les peintures reprennent l’esthétique du logo dont la ville est sursaturée tout en instaurant des pauses visuelles par leur facture purement abstraite. À l’intérieur de l’image du paysage urbain, l’abondance des messages publicitaires est ainsi brisée au niveau visuel. Dans l’espace de l’œuvre, l’apposition arbitraire aux photographies de slogans extraits de publicités télévisées souligne la déconstruction d’un autre niveau, celui de leurs significations. Textes et images cohabitent sans dialogue dans un espace de visualité pure et d’apparente gratuité.

 

Cette utopie d’un espace public offert à l’art est, en effet, vite balayée par la réalité du support choisi, le panneau publicitaire. Reprenant alors le caractère parasitaire de la publicité, les photographies de la présente exposition prennent la taille d’un flyer. En 2004, à Los Angeles, elles avaient même été diffusées sous forme de spams. L’œuvre entre ainsi par le biais de la promotion dans le système marchand. Or, ce que promeuvent les images de la série « Los Angeles » n’est que pure virtualité. Les peintures, en effet, n’existent pas, contrairement aux précédentes séries d’intérieurs. À partir de cette dématérialisation, se développe pourtant une déclinaison de formes, cette fois-ci matérielles. L’œuvre, virtuelle et rétrogradée au rang de nuisance par le système promotionnel, retrouve son caractère d’objet par une lecture relevant des arts appliqués. L’exposition devient showroom.

 

Les peintures fictives insérées dans les photographies se déclinent dès lors sous la forme de papier peint sur les trois murs du fond de la galerie. Les signes picturaux deviennent ainsi motifs décoratifs, répétitifs ou uniques. La réalisation de ces tapisseries sur des feuilles de photocopie de format A4 juxtaposées les unes aux autres, tout en soulignant l’aspect sériel des papiers peints bon marché, pousse jusqu’au bout le calque de la production industrialisée. Par des processus relevant de l’industrie, l’art de Heidi Wood s’applique méthodiquement aux objets produits par le système marchand.

 

Et lorsqu’elle accroche au mur une série de six tableaux intitulée « California Dreaming », il ne s’agit pas, par quelque nostalgie ou quelque sursaut de moralité que ce soit, de revenir à cet art noble qu’est, selon la tradition, la peinture. La toile tendue sur le châssis n’est autre que du tissu d’ameublement dont on voit le relief des motifs sous la couche picturale. Comme une redondance, l’objet de la peinture qui reprend les logos inventés par l’artiste n’a d’autre vocation que décorative. Les textes juxtaposés fonctionnent de la même manière que dans la série « Los Angeles », c’est-à-dire qu’ils ne dialoguent pas avec l’image. Anecdotes recueillies par Heidi Wood lors de son séjour dans la mégalopole californienne, ces courts textes ont cette valeur d’agrément propre à la décoration. Éphémères et plaisants.

 

Afin de parachever ce système de production et de diffusion, Heidi Wood nous révèle volontiers son prochain projet d’élaborer un catalogue de vente à partir de l’échantillonnage que propose cette exposition-showroom. Il sera alors possible de choisir le motif parmi ceux qu’elle a créés, la couleur et le support (papier peint, tableau…). Si elle calle ainsi le système de l’art sur l’économie de marché, elle n’en garde pas moins une distance critique que révèle, d’un geste mégalomaniaque, une petite photographie au fond de la galerie. Sur cette image, « Heidi » a remplacé très ironiquement le « Holly » de Hollywood. « Heidiwood », un microsystème industriel de l’art. L’ensemble de cette démarche, qui relève indubitablement de l’Economics Art, interroge sans concession la valeur et la survie de l’art à l’ère néo-libérale.

 

Perin-Emel Yavuz, September 2005

Paris-art.com, septembre 2005

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