PROPOSITION D'ACCOMPAGNEMENT

Dans les Serving Suggestions, le tableau est réduit à être qu’un des éléments d’un dispositif. Cette opération de « réduction » ne suit pas la pente minorante du mot mais correspond plutôt à son versant culinaire. Faire épaissir par évaporation.

 

Peint pour lui-même, le tableau est ensuite intégré à un décor. Un environnement est construit qui lui servira de réceptacle. S’opère alors une véritable mise en scène. Une construction de situation.

 

Des « images » sont ainsi produites par assemblage d’éléments disparates : tableaux, meubles, papier peint, linoléum, moquette, plantes, accessoires… selon une logique modulaire (combinaisons, reprises, chassés-croisés…).

 

Pour Quotidien aidé (LES LOCATAIRES), (première occurrence publique de ces Serving Suggestions), Heidi Wood avait « investi » la borne d’accueil de l’exposition, conjuguant ainsi différentes problématiques : conçues pour ce lieu particulier, cette intervention proposait un espace utilisable et utilisé ainsi qu’une image puisque l’ensemble était bâti en fonction d’un point de vue et de jeux de masses, de formes et de couleurs. On y décelait déjà les multiples ramifications de ce projet alors en germe : l’attention portée au décor, au fonctionnel, à l’image, au publicitaire.

 

Ces Serving Suggestions se développent à mi-chemin entre des reconstitutions/propositions d’intérieurs et des corners de magasins de meubles ou de catalogues de ventes. Par là, la question de la consommation de l’art affleure. Les corners proposent en effet des espaces désirables, des espace d’identification et d’appel supposés inciter le consommateur à l’achat.

 

Bien que réalistes ou vraisemblables, les espaces conçus sont véritablement fabriqués. Artificiels. Ceux qui m’intéressent tout particulièrement sont ceux qui dérapent. Qui signalent par petits décalages leur qualité de simulacres. Ceux qui évoquent l’utilisabilité mais où les meubles, trop bien rangés, posent. Ceux qui sont en proie à des déformations optiques, où la perspective est accentuée. Ceux qui proposent, comme des vues aberrantes issues d’un magazine de décoration. Ici, le tableau est trop proche du mur, là, de la table. Dans cet autre, le papier peint s’arrête net, ne couvrant que partiellement le mur. Dans celui-là, la combinaison des modules défie les lois du bon sens. Ils s’opèrent comme une mise à mal de l’efficacité attendue dans une optique communicationnelle et publicitaire. Comme de légers accrocs au spectacle.

 

Ces défaillances internes ne sont pas immédiatement repérables. Elles minent la transparence de ces images.

 

Produites aujourd’hui, ces images dialoguent forcément avec d’autres qui leur sont contemporaines. Je pense particulièrement, et cette position est totalement revendiquée par Heidi Wood, aux photographies de mode et de décoration d’intérieur. Bref, à ce retour que les formes des années 60/70 ont effectué ces dernières années dans notre champ visuel. On assiste à l’adéquation momentanée entre un univers pictural (l’esthétique développée depuis plusieurs années par Heidi Wood) et un mouvement de masse, social, éphémère, une mode (qui donc participe de la logique du spectacle, de l’argent, de la consommation, etc.) Cette rencontre inscrit ses recherches picturales dans un contexte plus large que la simple Histoire de la peinture. Ou plutôt envisage la pratique comme enclose, connectée avec le monde.

 

Le recours à cette esthétique dépasse l’aspect conjoncturel. Elle est celle d’un temps révolu, un rappel du modernisme triomphant, de la consommation optimiste. Qui, déjà à l’époque de son apparition, reprenait et abâtardissait les recherches formelles des avant-gardes. Heidi Wood interroge à sa manière le dialogue historique entre l’abstraction géométrique et les arts décoratifs (dialogue qui, de Mondrian à Vasarely, a connu de nombreux avatars), mais celui-ci est désormais vide de toute implication utopique, de projet de révolution sociale. Les formes aujourd’hui épuisées du modernisme sont interrogées du point de vue domestique. Comment faire avec cette histoire ?

 

Frank Lamy

août 2001

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