VERBES IRRÉGULIERS

Les verbes irréguliers anglais donnés pour titre aux triptyques que peint Heidi Wood sont des indices précieux pour comprendre mieux, sur le mode analogique, la grande complexité des tableaux qu’elle réalise, aux apparences doucement abstraites et décoratives.

Chaque volet de cette série précisément intitulée « Irregular Verbs », se compose de trois tableaux de formats identiques, souvent petits ou de taille moyenne, sur lesquels sont posées des formes traitées en aplats, vaguement évocatrice des abstractions historiques. Les rapports de couleur souvent sourds, jamais faciles, ainsi que les tissus d’ameublement parfois utilisé comme support contribuent à l’altération des modèles, au ramollissement des références. Sommeil trompeur !

En effet, ces petites peintures de compagnie sont en réalité de redoutables machines à dérégler le temps et le geste. Et les titres encouragent ce terrible mécanisme.
A l’image du verbe qui lui fait pendant, le triptyque retient ainsi toute narration et scande en trois parties le développement d’une action probable mais coupée dans l’immédiat de toute nécessité de résultat, du moindre rapport au réel. Appliquée à la peinture, la technique du « par cœur » impose une logique mécanique de la mémoire. Telles les deux virgules qui à l’écrit séparent les temps irréguliers de ces verbes d’exceptions, les qualités du traitement à l’huile, la texture trop visible de certains tissus s’efforcent alors de rappeler le présent.

 

Loin des solutions naïvement syntaxiques qui permettent à beaucoup de peindre aujourd’hui, Heidi Wood, en jouant de manière si serrée avec le langage, s’offre les plus simples libertés en peinture.

 

Nicolas Chardon
décembre 1999

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