HEIDI WOOD, La Maison de banlieue

Espace d’art contemporain Camille Lambert, Juvisy-sur-Orge
28 septembre –26 octobre 2002

 

N’est-il pas inconfortable de réaliser que le concept que l’on se forge d’un percept est sensiblement décalé par rapport à ce qui est consensuellement exprimé à son sujet par ailleurs ? Des œuvres de Heidi Wood, on a lu qu’au-delà de la peinture, elles «  proposent des espaces désirables » (Frank Lamy dans le catalogue Quotidien aidé (les locataires), Ecole supérieure des beaux-arts de Tours, 2001) ; qu’elles « jou(ent) avec malice avec le statut de l’art, magnifiant les conditions de sa présentation pour le rendre plus attractif » (Fabienne Fulchéri, le journal des arts n° 135, 2001) ; qu’elles « rappel(lent) des formes étrangement familières » (Fabienne Fulchéri encore dans Technikart, novembre 1999) ; qu’elles sont « à mi-chemin entre peinture abstraite et peinture décorative » (Emmanuelle Bine dans Oraos artmag)…

 

Dans le catalogue de la présente exposition intitulée la Maison de banlieue, Suzie Attiwell effleure pertinemment la question du rapport de l’œuvre de Heidi Wood à l’image. Il est vrai, effectivement, que le devenir ultime de certaines de ses dernières Serving Suggestions était photographique. Il est vrai que l’application de matières colorées au-delà des tableaux polyptyques (peinture à même le mur, moquette ou plastique au sol) opère comme un cadrage à bords perdus dans la salle d’exposition, une focalisation au large. Il est vrai que, sans qualité particulière de brillance, de transparence ou de matière, les compositions en aplats mats et secs de Heidi Wood, faisant oublier leur matérialité propre pour jouer indifféremment comme des projections chromatiques denses sur des murs et des tableaux (toile lisse ou à motifs en relief), sont assimilables à des images émises et reçues le temps éphémère de la visite de l’exposition, le temps éventuellement pérennisé de la photographie.

 

Certes réactives au contexte spatial du lieu d’exposition, ces images sont d’ailleurs et vont ailleurs. La rapidité de l’exécution sur place (peintures murales, accrochage des polyptyques, pose des revêtements de sol) témoigne de ce transit des images et de la fonction essentiellement véhiculaire du lieu. « Désirables », « séduisantes », « familières », ces images sont aussi tellement envahissantes et promptes qu’elles esquivent l’appréhension et placent le spectateur face à sa profonde frustration. Mieux, elles en deviennent effrayantes. Nous n’irons pas jusqu’à les envisager comme génératrices de « l’inquiétante étrangeté » freudienne – car si les formes et couleurs constitutives des œuvres de Heidi Wood résonnent bien comme du « depuis longtemps connu, depuis longtemps familier », l’effroi qu’elles peuvent produire n’est pas forcément redevable du processus du refoulement. Leur fréquentation, cependant, génère bien un fort sentiment de « déjà-vu » qui s’abîme effroyablement dans celui de l’impuissance à déterminer où, quand et comment. Les œuvres de Wood sont vertigineuses car, dans le contexte protecteur de la salle et au-delà de leurs rassurantes évocations domestiques, elles nous renvoient subrepticement à notre douloureuse expérience de l’incapacité moderne à saisir un monde devenu image.

 

Alexandre Bohn
Art Press n° 285
Décembre 2002

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